Littéralement « l’héritage des légendes » c’est le nom de la fondation créée à l’initiative de Carolyn Hunt et Buck Brannaman à la suite de la disparition de Ray Hunt en 2009. Cette fondation a pour vocation de faire perdurer les enseignements et la philosophie de Tom Dorrance et Ray Hunt auprès du grand public.
La fondation organise un rassemblement annuel ouvert au grand public où des élèves assidus de Tom et Ray démontrent et enseignent le savoir-faire qu’ils ont hérités d’eux.
Les fonds récoltés lors de cet événement sont consacrés à la formation de la nouvelle génération de professionnels du monde du cheval. J’ai eu la chance d’être sélectionné en 2018 pour ce programme de formation en immersion.
Lien vers mes retours d’expérience sur le site de la fondation : http://www.alegacyoflegends.com/Matthieu-Gadenne.html
Voici la version française de ces retours d’expérience de mon apprentissage à Ranch Academy. Bonne lecture 🙂 .
10 novembre 2018
Cela fait maintenant une semaine que je suis arrivé à « Ranch Academy », et que je partage le quotidien de Natalia, Drew et leur équipe. Tout le monde fait de son mieux pour moi et je fais de mon mieux en retour. Drew et Natalia consacrent beaucoup de leur temps à nous aider, moi et mon cheval.
Je suis venu avec mon hongre de 5 ans, il est encore très vert, je l’ai sorti des montagnes du jura il y a un mois. Il est très sensible et craintif. Après avoir observé son comportement dans le rond de longe nous avons commencé à travailler avec Drew et Natalia. L’objectif était de faire en sorte qu’il soit d’avantage dans une attitude de réponse plutôt de de réaction de peur. Même si j’avais commencé son débourrage et qu’il avait bien progressé au niveau de sa confiance en l’homme, il se référait encore 90% du temps à son instinct d’autoprotection.
D’un côté je devais travailler sur moi. J’ai commencé à apprendre à être plus précis notamment dans le travail au sol. J’ai réalisé que si j’améliorai mon timing par rapport à ses pied en étant confiant dans mes demandes il pouvait plus facilement me faire confiance.
D’un autre côté on devait travailler avec mon cheval pour l’aider à se relaxer et à me faire confiance dans les situations qui l’effrayait. Cette relaxation devait venir du mental pour permettre à son physique se détendre, les deux sont liés. Drew et Natalia m’ont fait remarqué que les muscles de mon cheval en disaient long sur son état d’esprit. Les muscles releveurs de son encolure (ceux du bas) étaient nettement plus développés que les muscles extenseurs (ceux du haut). Cela est dus au fait qu’il soit constamment inquiet vis-à-vis de son environnement et qu’il tend régulièrement ces muscles pour relever la tête et observer les potentiels dangers autours de lui. Ils m’ont expliqué que si l’on travaillait dans le bon sens avec lui on pourrait rapidement voir un changement dans sa musculature.
Par exemple avec Natalia nous avons travaillé au sol sur les cercles. C’était le deuxième jour et il était déjà question de « feel, timing and balance ». Timing, car pour obtenir une flexion latérale correcte de l’encolure de mon cheval je devais faire ma demande au moment où l’antérieur intérieur se levait du sol. Feeling parce que je devais être attentif à mon cheval pour ajuster le dosage de ma demande et être le plus léger possible. « Balance » car je devais trouver le juste équilibre entre l’impulsion et la flexion latérale, si je demandais trop de flexion je perdais l’impulsion. Comme mon cheval est très sensible cet équilibre n’était pas évident à trouver et j’ai dû travailler dur pour y arriver.
Drew m’a fait remarquer que mon cheval avait vraiment particulièrement peur de tout ce qui pouvait venir de derrière lui. Drew a l’habitude de travailler ses jeunes chevaux au lasso. Nous avons donc travaillé ensemble pour qu’il puisse rester plus calme dans ces situations. Je menais mon cheval en main sur un grand cercle et Drew, à cheval, s’approchait derrière lui en faisant tourner son lasso. Après quelques fois mon cheval s’est rendu compte qu’il pouvait être en sécurité dans cette situation et s’est vraiment détendu. Ensuite Drew lui a attrapé plusieurs fois un des postérieurs. Mon cheval était vraiment tendu les premières fois, mais Drew est resté très calme et concentré sur son timing, pour relâcher la tension sur le lasso au bon moment. Rapidement mon cheval a compris que s’il faisait un effort pour se relaxer il trouvait la solution à son problème.
La semaine dernière j’ai monté mon cheval en groupe avec d’autres poulains. D’abord dans le rond de longe, nous étions trois à cheval. Drew à travailé avec le drapeau sur son cheval de selle pour nous aider, son assistant et moi, à galoper avec nos jeunes chevaux. C’était la première fois que je galopais avec mon cheval et ça s’est très bien passé. J’étais simplement concentré à le suivre rênes longues. Après quelques minutes nos chevaux étaient habitués à se déplacer au galop avec nous et nous sommes allé monter dans une grande pâture. Une fois dans cette patûre, on a utilisé tout l’espace pour diriger nos chevaux au trot puis au galop et même pour sauter des rondins et un petit obstacle. Je n’ai pas eu le temps de me poser de question alors que c’était la première fois que je galopais avec mon cheval. Je devais juste me concentrer au maximum l’endroit vers lequel je voulais le diriger et l’accompagner au mieux avec mon assiette. Avec le recul je peux dire que c’est ce qui a permis à mon cheval de rester confiant et détendu.
J’ai réalisé l’importance de l’équilibre entre un travail précis que l’on peut faire au calme dans le manège et des situations où l’on expose notre cheval en extérieur à plus d’animation. On doit être capable de garder notre cheval à notre écoute dans ces situations où il y a d’autres chevaux autours. Si l’on garde nos chevaux dans « le coton » on se trouvera en difficulté le jours où l’on voudra aller à un stage ou une randonnée avec d’autres chevaux. On doit être capable de s’adapter à chaque situation et ce le plus tôt possible avec un jeune cheval.
On peut déjà voir un grand changement dans l’expression de mon cheval ce qui nous indique qu’on travaille dans le bon sens. Nous allons continuer pour être prêts à participer au stage de Buck la semaine prochaine. Je suis pressé de pouvoir travailler avec Buck.
Drew est assez manique sur qualité du matériel qu’il utilise car pour lui le bon matériel permet d’avoir un bon feeling du cheval. Il m’a expliqué ce qu’il contrôlait sur une bonne selle, un bon filet, un bon bosal …il m’a aussi montré comment ils donnaient la bonne forme à leur bosals.
J’ai déjà appris beaucoup des différents aspects de « l’héritage » de Tom Dorrance et Ray Hunt, mais je sais qu’il me reste tout une vie à apprendre. Je suis très heureux de faire partie des étudiants sélectionnés pour le programme de formation du Legacy of Legends.
21 novembre 2018
Une grosse semaine se termine, Buck était ici pour trois jour de stage de horsemanship et une journée de ranch roping. J’avais treize ans quand j’ai lu son autobiographie et ça fait maintenant huit ans que je travaille avec ses DVD. Il est ma référence et c’était quelque chose pour moi de pouvoir le rencontrer et de participer à son stage avec mon cheval. Bien sûr j’ai appris et compris beaucoup de choses.
Mon cheval était vraiment novice pour participer à ce stage, je l’avais monté seulement cinq fois avec mors de filet. Le travail que l’on avait fait avec Drew et Natalia a porté ses fruits. J’ai été surpris de voir à quel point mon cheval est resté confiant dans un grand manège où nous étions plus de trente à cheval avec la musique, le micro, et les applaudissements des auditeurs.
Le premier jour, le travail au sol avec mon cheval s’est très bien passé mais lorsque l’on s’est mis en selle les choses se sont compliquées. Ce n’était pas évident car je devais lui indiquer en permanence des changements de direction pour éviter les autres cavaliers et pour ça j’utilisais un peu trop mes mains. Mon cheval a commencé à s’agacer et lorsqu’il a fallu commencer à demander un peu de flexion verticale le problème s’est amplifié et il s’est mis à secouer la tête. Buck m’a conseillé d’utiliser d’avantage la position de mon corps et d’être plus lent avec mes mains. J’ai fait de mon mieux, mais à la fin de la journée j’étais déçu de voir que mon cheval étais toujours assez agacé. Durant la nuit j’y ai beaucoup réfléchit.
A partir du deuxième jour, j’ai réussi à suivre le déroulement du stage tout en m’adaptant au niveau d’expérience de mon cheval, du fait les choses se sont améliorées. Durant les jours qui ont suivis j’ai fait de gros progrès avec mon cheval et si je devais faire une liste de ce que j’ai appris ce serait celle-ci :
- Pour diriger avec les jambes, nous devons placer nos jambes en position mais pas augmenter la pression nos jambes. Si le cheval ne comprend pas au début nous devons simplement l’aider en le guidant sur une rêne.
- J’ai réalisé à quel point j’avais souvent recours au mode plan A – Plan B. Je veux dire en augmentant la pression si le cheval ne répondais pas. C’est parfois ce qu’il faut savoir faire mais dans d’autre cas il faut laisser le temps au cheval de comprendre. Je connaissais ce concept mais je ne l’appliquait finalement qu’assez peu. Buck m’a aidé à voir à quel point cette façon de faire peut être efficace.
- J’ai appris à mettre le cheval en position pour qu’il puisse déplacer facilement les antérieurs.
- J’ai réalisé que la flexion latérale avait encore plus d’importance que ce que je pensais. A terme notre objectif est que notre position de jambes suffise à incurver notre cheval.
- J’en ai appris d’avantage sur comment apprendre à un jeune cheval la flexion verticale (soft feel) et le reculer.
- J’ai aussi beaucoup appris en regardant Buck monter. J’ai vu comment il organise sa progression et j’ai réalisé encore plus l’efficacité que l’on peut avoir si on est dans le bon timing avec les pieds du cheval.
J’ai vraiment apprécié ce clinic avec Buck et voici quelques raisons pour lesquelles il est un modèle pour moi :
- Son expérience lui permet d’avoir une image globale de ce qu’est un cheval. Il sais comment garder un équilibre entre les différents aspect de la relation homme-cheval.
- Il a une forte volonté d’enseigner et d’aider les gens à comprendre le plus possible.
- Il sait comment présenter les choses simplement, pour permettre au cavalier de comprendre et d’avoir les clefs pour être autonome, tout en étant clair sur l’exigence de la pratique.
- Il ne ment jamais ni aux chevaux ni aux personnes. Lorsqu’il travaille un cheval en public il s’adapte aux besoins du cheval sans se laisser influencer par son égo.
- Il a beaucoup de considération pour chaque personne et chaque cheval.
- Il perpétue le savoir-faire de Tom Dorrance et Ray Hunt et il nous donne les outils pour accéder à leur philosophie.
Je suis surpris de voir les changement avec mon cheval. Je commence à réaliser ce que signifie réellement gagner la confiance de son cheval. Mon cheval était vraiment sur l’œil et maintenant il me fait confiance qu’elle que soit la situation que je lui présente ( l’environnement du stage, partir seul en extérieur, faire du lasso, tirer un cube …). Je ferai de mon mieux pour ne jamais perdre cette précieuse confiance et je ferai en sorte d’instaurer cette relation avec chaque poulain que je débourre.
J’ai maintenant une meilleure compréhension de cette philosophie, de ce horsemanship. Parfois les gens l’utilise juste comme un ensemble d’outils pour être plus efficaces dans leur programme d’entrainement. C’est déjà un bon début, en comparaison à d’autres outils, mais pour moi il s’agit de changer notre priorité avec le cheval. La priorité ne devrait pas être d’entrainer notre cheval pour être capable de faire quelque chose avec lui (une compétition, un travail …) mais plutôt de se mettre en situation pour créer et entretenir une relation solide avec lui. Cette relation amène le cheval à être volontaire et confiant dans tout ce qu’on peut lui demander. Nous pouvons alors progressivement confronter cette relation à de nouveaux objectifs. Une des compétences de l’Homme de cheval c’est de faire en sorte que chaque nouvelle expérience soit une bonne expérience pour le cheval.
L’héritage (Legacy) prend tout son sens pour moi, je le vois comme un chemin sur lequel j’ai la chance d’avancer à l’aide de mes tuteurs.
19 décembre 2018
Cela fait maintenant un mois que le clinic de Buck a eu lieu et mon séjour ici arrive à sa fin. Je suis content que Drew et Natalia m’aient proposé de rester plus longtemps.
Ces dernières semaines j’ai eu l’opportunité de travailler avec dix chevaux différents dans différentes situations. Ces situations peuvent être classées en trois catégories : les situations d’enseignement, les challenges, et l’expérience par moi-même. Je pense que l’équilibre entre ces trois types de situations est la clef pour acquérir des compétences en horsemanship.
Le situations d’enseignement :
Natalia m’a enseigné comment rester en bonne position lorsque j’envoie le cheval sur un cercle autour de moi. J’étais souvent trop en arrière de la ligne de conduite ce qui avait pour résultat d’envoyer mon cheval vers l’extérieur du cercle. Pour compenser cela je devais utiliser souvent la longe pour maintenir le cheval sur le cercle. Natalia m’a aidé à réaliser que je n’avais quasiment plus rien à faire avec la longe lorsque j’étais dans la bonne position. Je l’ai compris rapidement mais j’ai eu besoin de pas mal de pratique avec cinq chevaux différents pour arriver à être systématiquement dans la bonne position. Je dois encore y faire attention, mais je sais que cela va rapidement devenir un automatisme. C’est le processus d’apprentissage. Il est bon de se rappeler que ce processus est similaire pour le cheval, c’est pour ça qu’il faut parfois laisser du temps au cheval pour assimiler.
Drew m’a montré comment brider correctement un « bridle horse » selon la tradition californienne. J’ai été bien attentif car même si mon cheval est en snaffle bit pour le moment, je voudrais respecter les étapes de la tradition avec lui, pour progresser jusqu’au « bridle horse ».
Natalia m’a aussi enseigné un exercice de Ray Hunt qu’elle a appris avec Carolyn Hunt. Il s’agit de contrôler les pieds de son cheval en passant une barre au sol. Je devais passer la barre au pas en faisant passer soit l’antérieur droit soit l’antérieur gauche en premier en fonction de la consigne que Natalia me donnait. Un fois que j’ai été à l’aise avec ce premier exercice l’étape suivante a été de contrôler lequel des deux postérieurs passerait la barre en premier. Ce n’était pas évident au début, mais le fait d’avoir le repère de la barre, m’a aidé à être plus précis que d’habitude dans mon ressenti des pieds.
Natalia et Drew m’ont aussi enseigné le lasso, j’en ai appris plus sur les angles et les points de repères. Cela va me permettre de continuer à m’entrainer avec plus de chance de réussite.
Les challenges :
Drew a continué à me donner régulièrement des challenges, je veux dire qu’il me poussait un peu à dépasser mes limites. Le challenge pouvait être de trainer le dummy (fausse vache) avec mon jeune cheval, de monter en extérieur des chevaux délicats, ou de seller et monter un poulain pour la première fois, avec moins de préparation que ce que j’aurai fait si j’étais seul.
Ces situations m’ont permis de progresser, car j’ai dû sortir de ma zone de confort et utiliser toutes mes compétences, pour m’adapter à la situation. Ray Hunt disait « adjust to fit the situation ». A chaque fois j’ai réalisé que le mieux à faire était de faire confiance au cheval et de visualiser le plus précisément possible où je voulais diriger ses pieds. Ray Hunt disait que la définition de la confiance était de savoir que l’on est préparé pour l’impensable (« the definition of confidence is knowing that you are prepared for the unthinkable »). Cela ne veut surtout pas dire que l’on s’attend à avoir un problème avec notre cheval, car dans ce cas on pourrait bien créer le problème. Tout ce que l’on veut c’est de rester à la limite avec les problèmes. «Try to stay on the edge of trouble” avait aussi coutume de dire Ray.
L’expérience :
Depuis le stage de Buck j’ai continué à travailler avec mon cheval. Il me faisait confiance dans beaucoup de situations, mais il ne me laissait pas encore complètement diriger ses pieds. La première fois que je suis parti seul en extérieur avec lui, il essayait franchement de faire demi-tour pour rentrer. Je suis resté calme, et je me suis concentré au maximum sur mon point de repère et mon timing, pour garder ses postérieurs sur le sentier. Les jours suivants, mon objectif a été de lui faire comprendre qu’il trouvait le confort lorsqu’il me laissait diriger ses pieds. Je travaillais sur moi-même et sur son mental, essentiellement. J’ai beaucoup pratiqué les exercices de Buck, notamment guider avec les jambes et les serpentines, en essayant de toujours visualiser précisément le tracé sur lequel je voulais diriger les pieds de mon cheval. Cela a été très efficace et j’ai pu rapidement diriger mon cheval uniquement avec mon « focus » et mes jambes même au trot.
Drew et Natalia m’ont fait confiance en me laissant travailler seul plusieurs de leur chevaux. Cela m’a permis de pratiquer ce que j’avais appris, avec des chevaux d’âges, de races et de niveaux différents. C’était très intéressant car à chaque cheval j’ai dû ajuster mon « feel, timing and balance ».
Ces expériences m’ont permis de progresser dans le processus d’apprentissage, du savoir vers la compétence du horseman.